CAVL Lettre d'info n°34
Centre Audiovisuel Liège asbl |
Editorial - Médiathèque : édition d'un nouveau tiré à part sur la « BD du réel » - Ouvrages récents Si le contenu ne s'affiche pas correctement, cliquez ici Notre précédente Lettre d’Info (N°33) vous a été adressée le jeudi 8 janvier, soit au lendemain même des attentats de Charlie Hebdo. Tout au plus avions-nous eu la possibilité de placer un bandeau d’hommage aux dessinateurs assassinés… Mais nous aimerions consacrer l’édito de la présente Lettre d’Info à une évocation du traitement médiatique qui fut réservé aux événements au cours du premier mois de 2015. En termes d’éducation aux médias, ce traitement nous paraît assez significatif du comportement des médias en moment de crise. __________ Depuis les tragiques événements de ce mercredi 7 janvier, nous avons tous traversé de pénibles moments qui, toutefois, ont eu un mérite : celui de nous faire réfléchir au traitement médiatique réservé par la presse d’info aux faits que nous avons connus. Nous sommes ainsi passés du direct et de l’immédiateté à une forme de prise de recul et de mise en perspective des faits et de leur incidence sur notre environnement quotidien, en franchissant l’étape de la surenchère émotionnelle et celle d’une vision qui tentait de relativiser les choses. Mais ce fut un itinéraire à branchements multiples avec, en fin de parcours, une prise de conscience toujours diffuse et peut-être très éphémère des enjeux les plus importants et des défis auxquels nous devrions cependant être plus attentifs que jamais. Ce 07/01, nous étions en réunion au CSEM quand la nouvelle a fait irruption en ligne, causant d’abord l’incrédulité et l’incompréhension puis une vision d’horreur et un sentiment de révolte face à ce carnage. Très vite, des noms ont circulé… Charb, Cabu, Wolinski, morts… Le JT du soir, les quotidiens du lendemain matin ont relayé la violence inouïe des images, celle notamment de ce policier abattu et achevé par les tueurs… Pendant ce temps, les messages se multipliaient sur la Toile, sur les réseaux sociaux. Messages de compassion, de solidarité, messages de discrimination ou de vengeance. La mobilisation citoyenne spontanée le disputait aux déclarations insensées de ceux qui s’empressent de jeter de l’huile sur le feu. Réactions anti-Occident, réactions anti-Musulmans… L’instrumentalisation s’empare des médias, même si chacun invite à ne pas se laisser aller aux amalgames et à éviter les confusions. Mais, en même temps, l’on s’aperçoit bien vite qu’une certaine presse n’hésite pas à se lancer elle-même dans des suppositions douteuses et à se laisser aller à des dérives démagogiques en privilégiant des Unes incendiaires et en jouant la surenchère de l’émotion et de la polémique. A cette première lecture interprétative des faits en succède une autre où les éditoriaux se centrent surtout sur la nécessité de continuer le combat pour protéger la libre expression. On essaie de s’extraire de la sinistre réalité. Il y avait « l’avant-Charlie », il y aura « l’après-Charlie », avec l’âpre exigence de continuer à lutter pour les valeurs fondamentales qui sont les nôtres, des valeurs sur lesquelles on ne peut guère transiger. Il importe, plus que jamais, de combattre la haine irrationnelle, l’obscurantisme, l’ignorance. Mais il faudrait peut-être aussi comprendre en se demandant si nos « valeurs fondamentales » sont aussi celles des autres… On s’aperçoit ainsi, sans trop devoir chercher, que la radicalisation religieuse coïncide assez souvent avec la discrimination économique vécue par les minorités. Fossé religieux, fossé culturel, mais aussi pauvreté et désespérance, plus que passions identitaires et fanatisme religieux. Progressivement, les représentations réductrices semblent vouloir s’estomper ; une détermination à comprendre le discours des uns et des autres paraît enfin devoir s’imposer. A la colère et au regain d’émotion, succèdent recueillement et empathie, les marches silencieuses et ce million et demi de citoyens et de chefs d’Etat qui défilent dans les rues de Paris. Il semble que la barbarie des actes accepte enfin d’ouvrir un espace de réflexion. Certes, les manifestations, témoignages et autres constats ne sont pas toujours dépourvus d’une certaine hypocrisie, d’un certain cynisme, qui peuvent écœurer plus que les attentats eux-mêmes, mais une forme de sérénité prétend se dessiner. La peur est encore présente, mais elle s’est substituée à la psychose. Les assimilations faciles, le simplisme de certaines argumentations, le manichéisme des premières prises de position, les rejets sans discernement, les récupérations même, semblent vouloir se dissiper dans la presse. Après la transmission des faits bruts et de l’effroi qu’ils ont suscité, après une seconde période où l’on peine à sortir des amalgames, à se libérer de la confusion, voici venir la prise de recul par rapport à l’onde de choc du début janvier. Le journal entend reprendre un rôle d’information, mais aussi d’éducation citoyenne et de réflexion. Ainsi, beaucoup d’organes de presse vont reproduire dans leurs colonnes des dessins de l’hebdomadaire satirique, comme une sorte de pied de nez à l’extrémisme, mais d’autres se sont refusés à le faire, comme le « New York Times », prétextant qu’il ne voulait pas publier des « images délibérément offensantes pour les croyances religieuses d’une partie de son lectorat »… Et si « Je suis Charlie » devait se conjuguer avec « Je suis Mahomet » ou « Je suis Aïcha »… La nécessité d’un retour sur soi-même, l’importance aussi d’un questionnement sur ses propres réactions apparaît enfin. Elle doit absolument s’imposer si l’on veut continuer à progresser. Et la presse pourrait – devrait – être un bon déclencheur d’une évaluation par ses lecteurs de leurs propres comportements de récepteurs d’info. De tels outils paraissent enfin dans la presse quotidienne et viennent souligner la nécessité d’une réflexivité et d’une prise de conscience nuancée des facteurs souvent contradictoires qui se sont bousculés depuis la relation des faits que nous avons connus. Parmi ces réactions empreintes de tact et de beaucoup d’intelligence, notons cet article de Vincent de Coorebyter, professeur à l’ULB, sous le titre « Eux » et « Nous » (Le Soir, 25/01/2015). L’auteur y pointe la nécessité de relativiser, sans pour autant tomber dans la compromission : « Le problème réside, dit-il, dans le fait que tout le monde ne partage pas la défense inconditionnelle de la liberté d’expression, irrévérence, mauvais goût, blasphème inclus. Or, on n’abattra pas ce mur d’incompréhension en ostracisant et disqualifiant ». Nous sommes convaincu que ce sont de tels textes qui peuvent nourrir la tolérance, la compréhension mutuelle, le respect de l’autre. Il importe de faire fi des affirmations à l’emporte-pièce qui ne font, en définitive, que prôner l’exclusion de toute identité différente de la nôtre. Ce sont des textes comme celui-ci qui devraient fonder ce cours de citoyenneté dont on reparle aujourd’hui. Quelle que soit la face que révèle l’humanité à un certain moment et dans certaines circonstances, nous ne pouvons l’ignorer et nous devons, ajoute l’auteur, « assumer les gestes de l’humanité entière ». Au travers de semblables prises de position, nous sommes susceptibles de faire le (ré-)apprentissage d’un raisonnement autre que celui auquel nous nous accrochons par routine ou par égocentrisme. Un (ré-)apprentissage et une expérience à partager, la reconnaissance d’une autre forme de pensée que la nôtre et, plus encore, d’une autre forme d’expression de cette pensée. Accepter que les prémisses des uns ne correspondent pas nécessairement à ceux des autres et ne sont pas pour autant condamnables. La presse écrite et ses déclinaisons sur la Toile nous ont donné accès, fin janvier, à des jugements nuancés comme celui de de Coorebyter. Quatre étapes : de l’exposé des faits bruts à une mise en perspective et à une volonté de réflexivité, en passant par une surenchère émotionnelle, puis par une vision moins partiale et plus sereine. Mais le mercredi 7 janvier est déjà bien loin et les leçons qu’on a pu tirer de son traitement médiatique, pour positives et encourageantes qu’elles aient été, nous donnent l’impression d’avoir déjà rejoint le rayon des effets d’annonce. Les perspectives qu’on tentait de dégager pour la mise en chantier d’un apprentissage du « vivre ensemble », et tout simplement d’un dialogue interculturel, font déjà, semble-t-il, partie du passé. Aujourd’hui, les quotidiens se plaisent à mesurer les quelques pour cent gagnés par les uns et perdus par les autres sur l’échiquier des intentions de vote ; la presse périodique s’intéresse à la manière de doper votre épargne et aux retombées européennes que la coalition Syriza risque de provoquer. Et, par ailleurs, le grand retour de DSK se profile à l’horizon. La routine éditoriale de chaque organe de presse reprend ses droits… Quant aux débats initiés dans la foulée des attentats de « Charlie Hebdo », l’Ecole pourra toujours se les « approprier » dans les meilleurs délais…. Et un tel enjeu, certes, dépend bien du rôle éducatif de l’Ecole mais il est urgent qu’on aide celle-ci à faire face à ses multiples missions. Chacune des étapes du traitement médiatique de l’actu, que nous venons d’évoquer, mérite d’être traitée à son tour en termes d’éducation aux médias, l’ensemble offrant une richesse pédagogique qui vaut d’être exploitée. Michel Clarembeaux |
Médiathèque : édition d'un tiré à part sur la « BD du réel » Si le cinéma documentaire et le photojournalisme s’imposent souvent comme médias prioritaires pour interroger la représentation du réel, la BD du réel vient bousculer cet establishment en présentant des arguments probants. Sa qualité et son identité graphiques permettent de développer des compétences de lecture et d’analyse d’images. Son récit du réel invite à reconsidérer le couple objectivité et subjectivité en se fondant notamment sur les propos des auteurs, souvent loquaces quand il s’agit de raconter (légitimer) leur art. Mais là où la BD du réel se singularise, c’est dans son formidable principe immersif amenant les lecteurs à vivre, au fil des pages, la tragédie des camps, l’épilepsie d’un frère ou encore le quotidien d’une famille palestinienne. Aux dires de mes élèves, ces voyages littéraires suscitèrent de multiples émotions, sources de questionnements et de prises de conscience. Emmanuel Chapeau, auteur d'une séquence pédagogique sur la BD du réel.
Depuis janvier 2015 (Lettre d’Info n°33), trois ouvrages récents sur les médias ont fait l’objet d’une recension, qui se trouve sur notre site. Nous les évoquons ici par le biais d’abstracts. Pour les analyses complètes, cliquez sur le titre de l'ouvrage qui vous intéresse.
M. Cl. |