CAVL Lettre d'info n°54
Centre Audiovisuel Liège asbl |
Si le contenu ne s'affiche pas correctement, cliquez ici Chaque année, nous consacrons un édito à un ouvrage récent qui nous semble être une ressource de qualité pour l'EAM. Ce fut le cas avec « La langue des médias » d'Ingrid Riocreux ou avec « Les discours médiatiques », le n°1104 de TDC. En 2019, nous aimerions sélectionner « Des têtes bien faites », un recueil publié par PUF (2017) sous la direction de Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée. En fait, il s'agit d'une défense de l'esprit critique qui, bien sûr, ne s'applique pas uniquement aux médias, mais qui aborde un ensemble de notions qu'un citoyen du 21eme siècle devrait maîtriser s'il veut avoir une chance d'échapper à la désinformation qui envahit notre environnement quotidien. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que l'OCDE ait reconnu l'esprit critique comme l'une des compétences-clés à privilégier aujourd'hui pour mieux résister aux croyances irrationnelles. |
Et nous savons celles-ci aussi nombreuses que diversifiées ; leur typologie semble bien vouloir se démultiplier au gré de l'emballement médiatique et des dérives observées notamment sur les réseaux sociaux. Plusieurs dysfonctionnements de l'info s'y côtoient, allant des rumeurs aux théories du complot, de la manipulation des images de propagande aux signes de radicalisation. Devant l'ampleur du phénomène et la difficulté de l'analyser dans ses origines, ses configurations et ses effets, les mondes politique et éducatif se sont vus obligés de réagir, conscients qu'il était urgent de mettre en place des stratégies d' « auto-défense intellectuelle ». Néanmoins, la vulnérabilité de chacun d'entre nous reste importante, quelles que soient l'influence de l'esprit cartésien ou la rigueur de nôtre raisonnement. Des failles apparaissent, qui ne résistent pas toujours à notre analyse, d'autant que les croyances se propagent de manière incontrôlée dans les médias, et sur Internet en particulier. Souvent aussi, le conformisme social nous induit à relâcher notre vigilance et à nous laisser aller à quelque dérapage de la raison...
Dans un premier temps, les auteurs s'attachent à identifier pourquoi ces dérapages sont possibles et pourquoi, parfois même, nous paraissons nous y complaire en confondant vrai et faux, alors que des preuves « évidentes » devraient nous convaincre de nous orienter vers le bon choix. C'est que, parfois, notre esprit critique a des repères que nous estimons à tort fiables, soit que nous leur accordons une confiance aveugle, soit que notre logique est malléable en nous renvoyant à des conclusions douteuses et à ce « consensus mou », qui se révèle souvent être la position la plus confortable.
Ce confort intellectuel s'associe très souvent à un effet de groupe qui tend à déterminer nos prises de position ou nos interprétations d'une situation, avec cette difficulté de faire la part des choses en ne se coupant pas d'une pensée uniforme et en n'osant pas aller à contre-courant de la « majorité ». Que l'un des deux auteurs soit Sylvain Delouvée, enseignant-chercheur en psychologie sociale, n'est pas étranger à l'analyse d'une telle motivation... une motivation sociale qui peut nous conduire à des attitudes, jugements et comportements qui échappent à la raison et relèvent d'une argumentation totalement biaisée par le déterminant social.
Un autre élément qui peut renforcer notre adhésion parfois inconditionnelle au faux ou notre crédulité face à une forme de « démagogie cognitive » c'est la nature même d'Internet et la dérégulation que la toile implique en propageant et en mutualisant les arguments de la croyance et les récits générés par celle-ci, avec les biais de confirmation souvent présents dans ces récits. Pourquoi, dès lors, se « fatiguer » à aller chercher ailleurs d'autres sources, d'autres contre-propositions et les croiser avec les premières ? Ces biais de confirmation ont souvent, en outre, un effet démultiplicateur...
Nous passons sur la deuxième partie de l'ouvrage, qui aborde un certain nombre de croyances étranges largement partagées, comme la vie après la mort, les théories du complot, les extra-terrestres et autres aliens. Il peut néanmoins être intéressant de leur chercher des fondements communs et des raisons d'y adhérer.
Quant à la troisième partie, elle mérite de retenir toute notre attention d'enseignant puisqu'elle envisage concrètement des démarches éducatives autour d'opérations de « fact checking ». Certaines de ces tentatives sont particulièrement ambitieuses, comme celle du groupe Zététique ou celle de Cortex, d'autres se veulent plus proches des élèves et de la production d'outils didactiques. Elles concernent surtout une pédagogie alternative reposant sur la production collaborative d'outils. Ce travail collaboratif réunit élèves et enseignants, il se fonde sur la pratique de l'échange de compétences. D'un côté, les élèves font appel à leurs savoirs techniques, de l'autre, les enseignants leur proposent leur expérience pédagogique et leur méthode d'analyse. En d'autres termes, une forme de mutualisation intergénérationnelle, une co-construction de savoirs, qui a également le mérite de gommer certains aspects hiérarchiques au sein de la classe.
Une première expérience assez séduisante s'intitule : « Traquer les fausses informations dès l'école primaire », ou comment différencier info et intox sur les réseaux sociaux, comment vacciner aussi les enfants contre les discours manipulateurs de tout type. Ceci implique un passage obligé par le traitement de l'info, la vérification des sources et leur recoupement, la contextualisation, ... Bref, de la pure EAM avec en prime, l'une ou l'autre application ludique comme la réalisation d'un photomontage.
Mais, pour des élèves plus âgés, ce sera un « Cours d'autodéfense intellectuelle » qui envisage des pratiques comme la dénotation/connotation, l'analyse des choix langagiers, les biais cognitifs ou la sophistique...
Voici bien deux exemples dont pourraient utilement s’inspirer nos convergences EAM/EPC ou notre lutte contre les « fakes »... Un ouvrage à lire et à s'approprier de toute urgence ! Michel Clarembeaux Depuis Janvier 2019 (Lettre d'Info n°53), quatre ouvrages récents sur les médias ont fait l'objet d'une recension, qui se trouve sur notre site. Nous les évoquons ici par le biais d'abstracts. Pour les analyses complètes, cliquez sur le titre de l'ouvrage qui vous intéresse.
M. Cl. |